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Profession : serial gamer par Monsieur_Bob
On les surnomme « hardcore gamers ». Comprenez « joueurs acharnés ». A l’heure où le jeu vidéo est en passe de devenir un sport professionnel, le nombre de « cyberathlètes » ne cesse d’augmenter. En orient, toujours plus extrême, mais aussi en France. Mythes et réalités d’un phénomène grandissant.

     Mort d’épuisement. C’est le diagnostic qui a été établi pour un Sud-coréen de 28 ans, décédé en août dernier dans un cybercafé après plus de 50 heures de jeu. Un cas rare, mais symptomatique de la situation d’un pays où le jeu en ligne est devenu un véritable sport national. Une situation impensable en France. « Nous, on ferme tous les soirs à 20h », rappelle Nicolas Papon, gérant du cybercafé Good Game, dans le IXeme arrondissement de Paris.       

     Autour de lui, des adolescents sont assis devant une douzaine d’ordinateurs, concentrés, casque sur les oreilles. Ils jouent à World of Warcraft, un jeu en ligne qui compte plus de 5 millions d’adeptes. « Les gamins sont à l’école à côté, quand ils ont une heure de perm’, ils viennent jouer. » Rien à voir avec les excès du pays du Matin Calme, donc. Un pays où deux chaînes sont entièrement consacrées aux compétitions de jeux en ligne, où les champions du clic remplissent des stades et sont sponsorisés par Puma. Nicolas évoque son ami Bertrand Grospellier, alias « Elky », le légendaire champion  français de « Starcraft », expatrié en Corée du Sud. « Dans le métro, des filles venaient lui demander des autographes », se souvient-il, goguenard.

     En France aussi, le statut du jeu vidéo est en train de changer. « Jouez sérieux. » La formule trône sur la page d’accueil du site du cybercafé Good Game. Un slogan paradoxal ? Pas vraiment, à en croire Nicolas : « Quand on arrive à des compétitions où il y a 150 000 dollars à gagner, c’est du sérieux », assure-t-il. Fini le temps où le jeu vidéo n’était qu’un passe-temps pour ados oisifs, place à l’ « esport », ou sport électronique.

Sofian debout observe Wormouze et Wolf lors des qualifications françaises des WCG 2005

« Toute la journée, toute la nuit »

     Sofian et Christophe sont des lycéens comme les autres, mais dans le microcosme des joueurs, tout le monde les connaît sous les noms de « Sayen » et « Wolf ». Sous ces pseudos se cachent deux des meilleurs joueurs français de Warcraft 3, un jeu de stratégie en temps réel dans lequel chaque joueur incarne une armée d’humains, d’orcs, d’elfes ou de mort-vivants. Le premier à détruire la base adverse l’emporte. Un jeu qui, comme d’autres (Counter Strike, PES…) est rapidement devenu un sport, voire pour certains, une vocation. Ainsi, depuis 2000, les WCG (World Cyber Games) voient s’affronter chaque année un million de participants via internet, et 800 finalistes se retrouvent pour la phase ultime de la compétition, à Séoul, San Francisco ou Singapour. Lorsque trois millions d’euros, venant de sponsors prestigieux (Samsung, Intel…) sont distribués entre les vainqueurs, on voit aisément ce qui pousse certains joueurs à s’investir corps et âme.

     Pourtant, devenir « pro-gamer » est loin d’être aisé, surtout en France. « Peu de joueurs en vivent, à part en Corée du Sud », rappelle Christophe. A 16 ans, ce membre de l’équipe « Good Game » enchaîne les compétitions internationales : Suède, Allemagne, Corée du Sud… Le cybercafé parisien lui paye ses déplacements… et profite en échange de la notoriété du jeune prodige. Atteindre ce niveau n’est pas donné à tout le monde, comme l’explique Nicolas Papon : « Il faut avoir un mental fort, tenir à la pression, être rapide à la souris, avoir une intelligence de jeu… Et beaucoup d’entraînement. »

     Un entraînement quotidien… et intense. « Toute la journée, toute la nuit, ça fait combien d’heures ? », plaisante Sofiane, qui fut un temps hardcore gamer, avant de se calmer : « Je dormais un jour sur deux… mais c’était une courte période ça. » Christophe, lui, donne la priorité absolue aux cours : en période scolaire, il assure ne jouer qu’une heure par jour, même s’il se rattrape pendant les vacances et avant les compétitions importantes. D’abord un plaisir et une fin en soi, le jeu vidéo devient petit à petit un moyen, un prétexte à la compétition. « Le jeu ne m’apporte aucun plaisir, seule la victoire m’en apporte », admet-il.

Eviter la diabolisation

     Face à ce phénomène de « professionnalisation » d’un hobby qui tourne parfois à la monomanie, certains s’inquiètent. Pour le docteur Dan Véléa, psychiatre au centre Marmottan de Paris, les risques sont bien réels, il le constate tous les jours : « on est obligé de refuser des consultations, on a trop de demandes ! », déplore-t-il. Parents inquiets ou patients jouant parfois jusqu’à 72h de suite, ils sont nombreux à frapper à sa porte pour un problème dit de « cyberdépendance ». Toutefois, ces troubles cachent souvent des problèmes plus profonds : « L’addiction représente une sorte de refuge, de symptôme premier d’autres pathologies : dépression, troubles anxieux, dépersonnalisation… »

     L’analyse de Michaël Stora, psychologue et auteur d’un livre intitulé « Guérir par le virtuel », va dans le même sens. Une minorité de joueurs arrivent à un point où « la vie réelle n’a plus aucun goût et la vie virtuelle devient la seule source de satisfaction. » Du « hardcore gamer », on passe alors au cyberdépendant. Mais, précise-t-il, l’addiction au jeu va bien souvent révéler « une structure fragile, une dynamique familiale pas toujours évidente. »

     Pour lui, il faut à tout prix éviter la diabolisation, dont le principal effet pervers, outre celui de jeter l’opprobre sur les communautés de joueurs, est de « faire le jeu de l’adolescent, qui est du coup dans la transgression. » Christophe égratigne au passage les médias, qui font « passer les joueurs pour des extraterrestres qui ne dorment pas, n’ont pas d’amis et aucune vie sociale. »

     Les médecins acquiescent : « On peut avoir une pratique saine du jeu vidéo ! », s’exclame Dan Véléa. « Il y a des joueurs qui vont jouer 4 ou 5 heures par jour mais être très bons élèves », ajoute Michaël Stora. Et de louer le jeu en ligne, « lieu de socialisation » entraînant des rencontres et de la communication.

 

« si vous jouez trop, vous aurez des hémorroïdes »

 

     Pour autant, le phénomène de cyberdépendance ne doit pas être minimisé. Le docteur Véléa estime qu’environ 1,5% de la population globale est touchée. Il met en garde contre un problème de santé publique qui n’est absolument pas pris en compte par l’Etat et va « nous prendre au dépourvu. » 

     A qui la faute ? Aux grands éditeurs, qui profitent de l’engouement pour leurs jeux ? « Un bon jeu est un jeu qui rend accro, il faut être honnête », lance Michaël Stora. Et Nicolas Papon de renchérir : « les éditeurs ont compris que le côté compét’ est ce qui attire les gamins. » Pourtant, tous louent les efforts de Blizzard Entertainment, créateur des best sellers Warcraft 3 et World of Warcraft, qui a récemment mis en place un contrôle parental. Suffisant ? Certes non, mais c’est un début.

     L’Etat, en revanche, qui ignore complètement le problème, n’est pas épargné par la critique. Pour Dan Véléa, les familles « sont en droit de demander des comptes. » Il réclame plus de prévention et de transparence : « Les gamins ne sont pas cons. Si on leur dit : « Si vous jouez trop vous aurez des hémorroïdes », ils ne nous croient pas. Il faut bien leur expliquer les dangers réels. »

     Se prononçant pour la professionnalisation des joueurs de haut niveau, il voit là une manière de réguler les pratiques : « il y a beaucoup moins de dangers avec des gens sponsorisés, qui suivent une certaine hygiène de vie. Pourquoi ne pas parler de « sport », et donner aux joueurs un statut autre que celui de paria de la société ?». Contre l’addiction, Michaël Stora, propose quant à lui une solution insolite : un psychologue virtuel qui interviendrait directement dans le jeu au bout d’un certain temps passé en ligne.

     Plus pragmatique, Nicolas Papon invoque la reponsabilité individuelle et une dose de bon sens, bien plus nécessaires qu’un cyberpsychiatre ou qu’une campagne de prévention. Et de justifier, blasé : « Est-ce qu’il y a des spots télévisés contre la connerie ? »